| Blog | Secrets d'épices et de PAM (plantes aromatiques et médicinales) |
“Dès les plus lointaines ébauches de l’humanité, la présence des plantes est constante, leur rencontre nécessaire.” Pierre Lieutaghi**
Les plantes sont au cœur du travail d’Arcadie. Quand nous en parlons, nous utilisons parfois quelque jargon spécifique, qui peut paraître obscur pour qui n’est pas très à l’aise en matière de botanique. Les explications qui suivent sont également l’occasion d’aller à la rencontre de ces plantes si précieuses pour l’Homme : ne vous contentez pas de lire et d’essayer de comprendre ce qui suit, n’hésitez pas à aller voir, toucher, dessiner, peindre les plantes autour de vous… rien de mieux pour s’y lier plus profondément et percevoir qui elles sont vraiment !
Nota Les observations qui vont suivre seront réalisées sur le groupe commun des « Angiospermes » (plantes dites à fleurs), et nous aborderons les traits “généraux“. Il faut toutefois garder à l’esprit que de très très nombreuses variations et exceptions existent ! La diversité du monde végétal – 40 000 espèces sont recensées aujourd’hui – est immense !
Installez-vous confortablement devant une plante : une plante en pot, une plante cultivée dans un jardin, une belle sauvage de pré, de bois, ou de talus, ou bien encore celle qui est en train de perforer le macadam dans la rue…
La plante, entre terre et ciel
A moins d’avoir trouvé un cas bien particulier, vous devez pouvoir observer une partie visible, verte, immobile, constituée au moins de tige(s) et feuille(s) et deviner une partie invisible : les racines.
La plante plonge ses racines vers la terre (on appelle ça “géotropisme positif” / géo = la terre et tropisme = attirance vers) et élance sa végétation (tiges et feuilles d’abord) vers la lumière, le soleil : on parle d’héliotropisme (avec hélios pour soleil). Avec ces deux mouvements opposés, l’un vers la terre, dans les profondeurs, l’autre vers le ciel, la plante est comme un trait d’union entre terre et ciel !
Sous terre : des racines et des rhizomes
Les racines puisent eau et sels minéraux
Les racines de la plante lui permettent – entre autres – de s’ancrer dans le sol, et d’absorber l’eau et les sels minéraux du sol dont elle a besoin pour se développer.
On reconnaît aujourd’hui que le système racinaire des plantes est également un site d’échanges (de “communication”) entre plantes, et un “organe sensoriel” de la plante dans son milieu. (voir par exemple les travaux de S. Mancuso et son ouvrage “L’intelligence des plantes »). Plusieurs de nos plantes médicinales sont recherchées pour leurs racines : la valériane, la bardane, le pissenlit, le raifort, la réglisse, la guimauve…
Plantes aromatiques et médicinales utilisées pour leurs racines (aquarelles Christiane MATHIEU pour Arcadie)
Le curcuma (Curcuma longa) et le gingembre (Zingiber officinale) sont consommés pour leurs rhizomes, qui sont des tiges souterraines de la plante (et non des racines)
Les rhizomes, des tiges souterraines
Dans le monde des plantes, il existe également des parties souterraines qui sont en réalité des tiges (elles ont des feuilles très réduites peu visibles, peuvent faire des racines et des tiges) : les rhizomes. Nos fameux gingembre, curcuma et le galanga (3 plantes cousines) sont cultivés pour leurs précieux rhizomes !
La gentiane, quant à elle, offre racines et rhizomes à notre consommation.
Des tiges qui vont former le port de la plante
Dans la direction à l’opposé des racines : la tige, qui porte bourgeons, feuilles, puis fleurs (et fruits). La manière dont se développent les tiges et les ramifications donne son port à la plante, son architecture dans l’espace.
Les tiges peuvent être souples, dures (et devenir du bois, « se lignifier »), rampantes, en liane avec des vrilles d’accroche, ou minuscules : chez l’oignon, la tige est réduite à un mince « plateau » sur lequel sont insérées les pelures de l’oignon, c’est-à-dire ses feuilles.
Comme déjà évoqué, des tiges peuvent également se développer sous terre : voir les rhizomes des curcuma et gingembre qu’on consomme en cuisine, mais aussi ceux du chiendent utilisé comme plante médicinale, ou encore ceux de la menthe… Auquel cas ce sont des tiges secondaires et des feuilles qui s’élancent vers la lumière !
Les plantes aromatiques et médicinales sont assez peu souvent utilisées pour leurs tiges (sauf les rhizomes). Parmi les plantes que nous proposons à Arcadie, citons l’aubier de tilleul, qui est la partie du tronc situé entre le cœur de l’arbre et l’écorce … et la cannelle, qui est de l’écorce grattée sur les troncs (donc les tiges lignifiées) de canneliers.
L’aubier de Tilleul est issu du tronc, c’est-à-dire de la « tige lignifiée » de l’arbre ; c’est carrément un travail de bûcheronnage qui est réalisé !
… et les feuilles, organes de la photosynthèse
Beaucoup de nos plantes aromatiques et médicinales sont récoltées pour leurs feuilles : thym romarin origan sarriette basilic hysope menthe sauge cassis ciboulette estragon persil laurier citronnelle olivier ortie vigne (rouge) rooibos verveine, …
Plantes aromatiques et médicinales utilisées pour leurs feuilles (aquarelles Christiane MATHIEU pour Arcadie)
Organes de la photosynthèse
Les feuilles sont des organes qui s’étalent sur un plan, comme « adonnées au soleil ».
La feuille est le siège de ce processus incroyable qui a lieu dans le monde végétal : la photosynthèse. A partir de l’énergie lumineuse et du CO2 absorbé dans l’air (gaz) au niveau des feuilles, la plante produit des sucres et rejette de l’oxygène !
Ces sucres produits, les « glucides », sont comme des « briques de construction » de la matière… et source indispensable de nourriture pour les autres êtres vivants de la chaîne alimentaire : animaux, Hommes…
Diversité de formes de feuilles
La “queue“ de la feuille s’appelle pétiole, et la surface plane en est le limbe. L’endroit où la feuille s’insère sur la tige est appelée “nœud“.
Les formes des feuilles présentent une très grande diversité dans le monde végétal, et sont souvent caractéristiques des espèces.
Dans la centaine de plantes travaillées à Arcadie (donc un minuscule échantillon par rapport à la diversité des plantes à fleurs), on trouve :
Des plantes à feuilles dites “simples“
Une plante à feuilles dites simples possède des feuilles avec une seule « surface » continue.
Plantes aromatiques et médicinales à feuilles simples (aquarelles Christiane MATHIEU pour Arcadie)
Des plantes à feuilles dites “composées“, constituées de plusieurs “folioles“
Plantes aromatiques et médicinales à feuilles composées (aquarelles Christiane MATHIEU pour Arcadie)
La camomille (Chamaemelum nobile), la matricaire (Matricaria chamomilla) et le fenouil (Foeniculum vulgare) ont des feuilles composées très découpées, filiformes, avec très peu de surface foliaire “étalée“.
Camomilles romaine et matricaire (aquarelles Christiane MATHIEU pour Arcadie)
Influence du milieu sur la forme des feuilles
Notons également qu’une même plante – prenons par exemple un pied de coriandre (Coriandrum sativum) – ne développera pas les mêmes formes de feuilles selon l’endroit où il pousse. Ses feuilles seront plus étalées, larges, en sol riche et avec un minimum d’humidité, plus fines en milieu sec et pauvre. La plante reflète, par sa forme, certaines caractéristiques du milieu dans lequel elle pousse (humidité, air, température, lumière…). Sa forme de base est modifiée par le milieu dans lequel elle se trouve.
Organisation des feuilles le long de la tige : “phyllotaxie“
Feuilles opposées, alternes ou encore verticillées ?
Les feuilles ne sont jamais disposées n’importe comment sur une plante, mais ordonnées d’une certaine manière propre à chaque espèce : certaines plantes ont les feuilles “opposées“ (2 feuilles l’une en face de l’autre au niveau d’un même noeud), d’autres “alternes“ ou encore “verticillées“ (3 feuilles ou plus insérées à un même endroit de la tige).
Le dessin ci-contre illustre certains types de phyllotaxie :
A – feuilles alternes
B – feuilles opposées décussées (opposées 2 à 2 à chaque noeud, et décalage d’un angle de 90 ° entre 2 noeuds successifs) ;
C – feuilles verticillées par 3.
Mouvement en spirale
Enfin, tout le long d’une tige, de bas en haut (donc des feuilles les plus âgées aux plus jeunes), les feuilles s’insèrent de manière également très définie, avec toujours le même angle formé entre 2 feuilles successives. Si l’on suit les feuilles dans leur ordre d’apparition, en montant progressivement le long de la tige, un mouvement en spirale montante tout autour de cette tige se dessine… Ce mouvement en spirale est symbolisé par les flèches en gris sur le schéma ci-dessus (“Phyllotaxie”).
Métamorphose des feuilles jusqu’à la fleur
Sur une même plante, depuis les premières feuilles apparues jusqu’aux dernières, une certaine métamorphose des formes peut être observée : la feuille s’étend d’abord de plus en plus dans l’espace, puis elle va se contracter, se resserrer autour de la tige, se rétrécir, jusqu’à l’apparition de la fleur… les organes floraux (pétales, etc.), n’étant autres que des feuilles métamorphosées !
Sur une même plante, les feuilles de la base et celles apparues juste avant la fleur semblent parfois ne pas appartenir à la même plante tellement leurs formes sont différentes (allez regarder un pied de coriandre par ex.).
Vous l’aurez compris à travers ces quelques ébauches, une banale “feuille“ peut dire beaucoup, et plus encore !! Mais ne vous contentez pas de croire tout ce qui est écrit ici : le mieux est d’aller observer tout ça dehors, sur des plantes “sur pied”, et de vérifier par vous-mêmes !
De la floraison et de l’identification de la plante
Parmi nos plantes, plusieurs sont utilisées pour leur fleurs : bleuet, souci, camomille, hibiscus, lavande, reine des prés, rose de damas, sureau, mauve.
La fleur est le site de la reproduction sexuée des plantes. La floraison est une transformation importante de la plante, qui, après le développement de son système végétatif (les feuilles), va transformer ses feuilles en diverses pièces florales. On attribue à Goethe cette citation poétique :
“La fleur est une feuille folle d’amour” !
Organes de la fleur
Ce qui constitue habituellement une fleur
La fleur peut être aussi spectaculaire, colorée et odorante que discrète et quasi invisible pour un œil non averti. Elle est constituée en général de :
– Sépales : ce sont des « pétales » extérieurs, en général vert ; l’ensemble des sépales est appelé « calice »
– Pétales : les organes, souvent colorés, qui entourent les organes sexuels de la plante ; l’ensemble des pétales constitue la “corolle“
– Et les organes sexuels proprement dit :
o les étamines – organes sexuels mâles – d’où sort le pollen
o et le pistil – organe sexuel femelle, qui reçoit le pollen pour fécondation puis fructification et formation de la graine.
Quelques particularités dans nos épices
Certaines de nos épices « fleurs » sont particulières :
Le safran est le stigmate de la fleur de crocus (Crocus sativus), c’est-à-dire la partie sommitale du pistil, qui reçoit le pollen.
Le clou de girofle est un bouton floral (une fleur non éclose) d’un arbre, le giroflier (Syzygium aromaticum).
La “tête“ du clou est constituée par les pétales encore fermés (la corolle donc, si vous avez bien suivi !!), et le clou est en réalité le « calice », ces pièces florales qui viennent englober la corolle.
Inflorescences : “bouquets” de fleurs
Nous avons vu le cas de fleurs isolées. Les fleurs peuvent aussi être rassemblées en inflorescences, aux noms différents, parfois poétiques : épi, capitule, ombelle, corymbe ! Voici certaines plantes aromatiques et médicinales utilisées pour leurs inflorescences.
Diversité des inflorescences (aquarelles Christiane MATHIEU pour Arcadie)
Les inflorescences appelées « capitules » sont bien illustrées par celles de la camomille (Chamaemelum nobile), du souci (Calendula officinalis) ou encore du bleuet (Cyanus segetum) et du pissenlit (Taraxacum officinale). Dans ces cas (famille des Astéracées, on le verra dans un prochain article !), ce qu’on appelle couramment « fleur » est en réalité une multitude de petites fleurs, aux formes parfois différentes, réunies sur un “plateau“ !
Inflorescences en capitules – famille des Astéracées (aquarelles Christiane MATHIEU pour Arcadie)
Dis-moi quel est ton nom ?
Ce n’est qu’à l’apparition de la fleur que l’on peut identifier de manière certaine une plante : les feuilles, le port de la plante, donnent des indications, mais pour identifier plus finement quelle est cette plante, il faut pouvoir en observer sa fleur dans les détails.
Ainsi une plante ne dit vraiment qui elle est que lorsque ses fleurs sont apparues… un peu comme le jeune enfant qui grandit et dévoile progressivement son identité profonde, qui émerge au fur et à mesure…
Reportez-vous à l’article suivant pour avoir quelques éléments de classification botanique !
Et des fruits ! et des graines !
Côté fruits, à Arcadie, citons la belle étoile de badiane (autrement appelée anis étoilé) dans laquelle on peut facilement observer les graines, la baie rose, la cardamome (la graine se trouve à l’intérieur), la baie de genièvre, les poivres (vert, noir et rouge – pas le blanc, qui n’est pas un fruit mais une graine – voir ci-dessous !), paprika et piment (qui sont des « poivrons » !), le cynorhodon (le fruit de l’églantier ou rose sauvage), la vanille, connue pour la pollinisation particulière de ses fleurs aboutissant aux gousses (les fruits)…
Formation d’un fruit bien connu : la cerise (fruit de Prunus avium). La future cerise apparaît nettement en haut. Plus bas, on la devine émerger du calice sec (les sépales), entouré des étamines séchées elles aussi, qui constituaient la fleur. Photo C. Defèche avril 2023
Des fruits épicés…
Une fois la fleur fécondée (via le pollen), elle va se transformer en fruit, à l’intérieur duquel se trouvent la ou les graines.
Plus précisément, et botaniquement parlant, le fruit est le pistil de la fleur qui se transforme après fécondation, en une enveloppe parfois charnue, parfois sèche, qui protège les graines en cours de formation.
La diversité de fruits est très grande là encore. Comme celle des graines : celles-ci sont contenues dans les fruits, et la distinction entre fruits et graines n’est pas toujours aussi simple que celle qui distingue la cerise de son noyau !
…et des graines épicées
La différence entre fruits et graines est parfois subtile… Le poivre est une baie (donc un fruit) issue d’une liane, sauf le poivre blanc qui en est la graine : en effet, le poivre blanc est un poivre auquel on a retiré le “péricarpe” – c’est-à-dire l’enveloppe externe du fruit – pour n’avoir plus que la graine.
Sont bels et bien des graines : les très parfumées graines d’anis, le carvi, la coriandre, le cumin, le fenouil, la moutarde, les graines noires de nigelle, de pavot, la noix de muscade (qui n’est pas un fruit mais déjà la graine), et le poivre blanc donc !
La noix de muscade est en effet la graine contenue dans la muscade, fruit du muscadier (Myristica fragrans). Cette graine est entourée d’un tégument (fine enveloppe), appelée arille, et qui est elle aussi utilisée comme épice : c’est ce qu’on appelle “macis” en cuisine, à la couleur orange obtenue au séchage, et que l’on peut également consommer en frais.
Histoire de faire encore plus complexe, on trouve aussi dans nos épices ce qui n’est ni un fruit entier à proprement parler, ni la graine, mais uniquement le péricarpe du fruit : c’est le cas de la baie de Timur (Xanthoxylum armatum). Regardez dans votre flacon : ce n’est ni une baie entière, ni une graine, mais le péricarpe (l’enveloppe du fruit) qui a ce goût si caractéristique d’agrume.
Plantes et épices utilisées pour leurs graines et fruits
Racines, feuilles, fleurs, fruits ? Décoctions ou infusions ?
Ces différents organes (racine, tige, feuille, fleur) ne sont pas constitués des mêmes tissus ; ainsi pour obtenir les principes actifs d’une racine, on recommandera plutôt d’en faire une décoction (eau bouillante pendant quelques minutes), tandis que pour une feuille ou une fleur délicate, une simple infusion suffit.
Fermez les yeux et tâchez de revivre intérieurement ce petit voyage que nous venons de faire à travers l’observation des différentes parties d’une plante : une graine germe, avec sa racine qui descend en terre, et sa tige qui s’élève vers le ciel. Les feuilles apparaissent, s’étalent dans l’espace… puis se rétractent… et voilà la fleur qui s’ouvre, en général à la “belle saison”, lorsque les jours sont plus longs, et la chaleur plus élevée. Puis une nouvelle transformation a lieu : celle de la fleur fécondée vers le fruit et les graines.
Ce cycle peut durer de quelques semaines à plusieurs années, c’est ce que nous vous proposons d’observer dans un prochain article.
A LIRE !!
Un ouvrage très complet et accessible :
La botanique redécouverte, de A. Raynal Roques, 2021, aux éditions Bel éducation – INRA édition. 419 pages.
**La citation de Pierre Lieuthagi provient d’un ouvrage collectif : Aux origines des plantes – Des plantes et des hommes : introduction. aux éditions Fayard.
2 ouvrages abordant les plantes médicinales avec une approche phénoménologique et en lien avec l’agriculture biodynamique :
Les plantes médicinales en biodynamie – Une approche vivante du végétal. Collectif, aux éd. MABD. 261 pages.
Rencontrer les plantes : approche par la méthode de Goethe. Exemple des Lamiacées, de C. Escriva et JM Florin, aux éditions Amyris. 320 pages.
Autrice de cet article : Cécile Defèche
Agronome de formation, je m’émerveille chaque jour un peu plus de tout ce qui vit (malgré tout). Et j’aime le partager.
Je suis responsable des terres d’Arcadie : 17 ha de terres agricoles à 10 km de notre usine, dont 4 ha de cultures de plantes aromatiques et médicinales, ainsi que des terrains “libres“ (2ha) autour de l’usine, en pleine zone d’activité industrielle.
Nous y travaillons, avec mes 2 collègues, à faire pousser (les plantes), accueillir (les animaux comme les humains), planter (des arbres), entourer (de soin), observer (de près), dessiner (en vrai), sensibiliser (à cette diversité), rencontrer (le vivant) et nous laisser rencontrer (par le vivant).